Philippe Jaffré & Philippe Riès, Le jour où la France a fait faillite, Grasset, 2006

 

Compte rendu par Pierre-Cyrille Hautcoeur,

Dans ce thriller financier écrit avec un journaliste économique réputé, Philippe Jaffré, inspecteur des finances, ancien patron du Crédit agricole et fin connaisseur des milieux décrits (le Trésor, les cercles du pouvoir financier et politique, spécialement hexagonaux), peint avec une délectation un peu morbide une spirale budgétaire tragique qui s’achève avec la vente aux enchères de la Joconde.

L’ouvrage s’ouvre sur une série de tableaux concrets de l’impact d’une crise financière majeure sur la vie quotidienne : impossibilités de paiements par cartes bancaires de Français présents partout dans le monde ou émeutes devant les distributeurs de billets et dans les grandes surfaces. L’auteur est néanmoins plus à l’aise dans les salons ministériels et les salles de marché des banques. Le véritable début du roman se situe lorsque le Trésor français est informé de la dégradation de sa dette par Standards & Poor’s au niveau des obligations pourries, ce qui se traduit par l’impossibilité pour les gestionnaires de fonds de les inclure dans les portefeuilles dont ils ont la responsabilité. L’auteur décrit ensuite avec précision les conséquences de cette décision sur le système financier français : dégradation brutale de la situation de tous les détenteurs de titres du Trésor, vente massive de ces derniers par les institutions n’ayant plus le droit d’y placer les avoirs financiers de leur clientèle, chute de leurs cours, d’où pertes des banques pouvant aller jusqu’à l’insolvabilité, difficultés de liquidité en résultant par anticipation, blocage du système de paiement par refus des banques de maintenir les crédits quotidiens sur le marché monétaire qui en sont la condition.

Les rouages de la finance et plus encore de la politique nationale sont parfaitement utilisés au service d’un objectif simple : montrer le caractère inéluctable de la contrainte budgétaire, la gravité de la situation budgétaire française, et l’impossibilité d’en sortir sans de puissantes réformes – une rupture en quelque sorte avec les errements passés. Le système logique des financiers est développé jusqu’à son terme, avec la démonstration de l’écart entre la dette avouée (officielle) et la dette « réelle », celle qui inclut toutes les dépenses de la solidarité collective – à commencer par les retraites – pour lesquelles n’existent pas de créances actuellement définies. Domine une logique de financiers où l’évaluation immédiate des actifs et des passifs et l’anticipation ultra-rapide des futurs prévisibles à partir de schémas mentaux très restreints et dans un cadre idéologique étroitement défini tiennent lieu de raisonnement.

Ainsi, l’idée d’un ajustement politique des dettes et des créances n’est pas même envisagée, au profit du traitement (y compris comptable) de la France comme d’un débiteur privé quelconque. Les solutions trouvées historiquement à des situations parfois bien pires (celle de la France en 1715 ou de la Grande-Bretagne en 1815) ne sont pas invoquées, sauf l’inflation, rapidement écartée au nom de la monnaie unique européenne (comme si l’Europe n’était pas aussi – au moins potentiellement – une entité politique).

On remarquera finalement que – grâce peut-être à ce genre de tableaux apocalyptiques – le scénario catastrophe ici inventé est d’ores et déjà évité, puisqu’il se déclenche dans l’ouvrage au terme d’un quinquennat de Ségolène Royal marqué par la fuite en avant budgétaire censée caractériser les socialistes, au moment même de la passation de pouvoir à Nicolas Sarkozy fraîchement élu président (avec Valérie Pécresse comme ministre des finances). On ne doute pas de la volonté du nouveau Président de rééquilibrer (un jour) les finances publiques. Mais la logique comptable risque d’entrer de nouveau en conflit avec les exigences politiciennes (celles des clientèles, qui ont d’ores et déjà pris de l’avance), plus encore qu’avec des logiques économiques et sociales plus profondes.