Financial
markets
Pierre-Cyrille Hautcoeur
Article pour le
Les marchés
financiers incluent
d’une part l’ensemble des acteurs dont l’interaction sur une place
financière
permet l’émission et le placement de nouveau titres et donc le
financement
d’investissements, ensemble qui constitue le marché primaire ;
d’autre partles
organisations boursières sur lesquels sont
échangés des titres existants
(obligations ou actions principalement), formant les marchés
dits secondaires qui
assurent la liquidité d’investissements à long terme .
L’interaction entre les
deux segments du marché provient en particulier du rôle du
marché secondaire
dans la détermination des prix et dans leur affichage public.
Ces prix servent
en effet de référence pour la fixation des conditions
d’émission sur le marché
primaire, y compris pour les titres non cotés et les dettes en
général.
L’analyse des
marchés financiers
donne une place importante aux marchés secondaires. Un
marché (secondaire)
financier est dit intégré lorsque le prix d’un actif
donné est le même sur
l’ensemble de ce marché, en particulier si deux actifs
identiques sont, sous
l’effet de la concurrence et de l’arbitrage, échangés au
même prix quel que
soit le lieu ou l’identité des échangistes. Sur un tel
marché libre et
concurrentiel, deux projets d’investissement identiques doivent obtenir
les
mêmes conditions de financement (sur le marché primaire),
ce qui assure une
optimalité économique en termes d’allocation de
l’épargne à l’investissement
(c'est-à-dire que seuls les meilleurs projets d’investissement
soient financés).
Pour mesurer le degré d’intégration des marchés
financiers, l’historien utilise
en premier lieu les publications de cours et d’informations sur les
émetteurs
qui sont principalement réalisées par les marchés
secondaires organisés (les
bourses), qui ont précisément pour fonction la
détermination et la publication
des cours.
La presse
financière et les
archives boursières permettent d’étudier
l’intégration des marchés financiers
depuis que des titres négociables sont échangés.
Des marchés secondaires très
intégrés à l’échelle de l’Europe de l’ouest
semblent fonctionner dès le 18e
siècle, spécialement pour les titres de dette publique
française ou anglaise
qui sont détenus en particulier par des capitalistes hollandais.
Au 19e
siècle, le
développement de marchés boursiers organisés dans
un nombre croissant de
villes, et les publications massives de cours qui en résultent
permettent
d’évaluer l’intégration des marchés financiers
à diverses échelles
géographiques. L’augmentation des volumes d’opération et
l’amélioration des
communications (télégraphe puis téléphone,
dont les bourses sont les premiers
clients) permettent une intégration croissante de ces
marchés, avec des
arbitrages directs sur un nombre croissant de titres cotés sur
plusieurs
places, et indirects pour des centaines d’autres. Dettes publiques et
obligations des grandes compagnies de chemins de fer fournissent
l’essentiel
des titres multi-cotés pendant la plus grande partie du
siècle, même si de
grandes compagnies minières, des banques et quelques entreprises
industrielles
apparaissent peu à peu. Paradoxalement, cette intégration
est peut-être encore
davantage internationale que nationale dans la mesure où les
quantités de
titres cotés sur les marchés régionaux restent
trop limités et les émetteurs
concernés de trop petite taille pour que les grands banquiers
arbitragistes
s’intéressent directement à eux, tandis que les grands
emprunts internationaux
leur fournissent une meilleure matière. En effet, en
commençant avec les
emprunts français de libération du territoire
après 1818, les opérations
financières directement internationales connaissent un
développement sans
précédent au 19e siècle. Russie, Empire
ottoman, Italie ou Argentine
peuvent émettre simultanément à Londres, Paris,
Berlin, voire Bruxelles ou
Amsterdam, en fonction des situations de place mais aussi des relations
diplomatiques. A partir de 1850, le développement des chemins de
fer conduit à
des flux de capitaux internationaux énormes, qui s’ajoutent
à des emprunts
d’Etat dont les volumes ne font que croître. A la fin du
siècle, les émissions
étrangères représentent annuellement plusieurs
pourcents du PIB dans les grands
pays européens ; ils atteignent, voire dépassent 10%
en Grande-Bretagne
dans la décennie qui précède la guerre. En 1913,
le stock d’actifs sur
l’étranger est supérieur au PNB en Grande-Bretagne (qui
détient alors environ
40% des créances internationales à long terme), mais
aussi en France, en
Belgique, en Suisse et aux Pays-Bas, et la capitalisation des titres
étrangers
cotés à Paris ou Londres est encore plus
élevée (de l’ordre de deux fois le
PNB).
Le marché
primaire de ces titres
internationaux est animé initialement par les banquiers
privés disposant de
réseaux internationaux (les Rothschild à Paris, Londres,
Vienne ou Naples,
Baring en Angleterre, Hope à Amsterdam par exemple). Il est
repris peu à peu
par des banques de dépôts disposant de capacités de
placement dans leur propre
réseau, comme en France le Crédit lyonnais ou
Dans
l’entre-deux-guerres,
plusieurs facteurs contribuent à une segmentation des
marchés financiers entre
nations, mais aussi à leur remise en cause au plan national
à la fois dans
leurs fonctions d’évaluation et de financement. En premier lieu,
les
restrictions aux mouvements de capitaux liés à la guerre,
puis les choix de
politiques fiscales ou monétaires divergents entre les grands
pays, conduisent
à une réduction des flux de capitaux internationaux
et rendent les
arbitrages plus difficiles et parfois déstabilisants. Il
résulte de tout ceci
une baisse générale de l’intégration
internationale des marchés financiers,
même si les imperfections du contrôle des changes et le
maintien d’une
ouverture assez grande du marché américain permettent
encore des flux
substantiels (notamment des Etats-Unis vers l’Allemagne dans les
années 1920). C’est
avec la crise de change européenne de 1931 et le début de
la grande dépression
des années 1930 que ces flux s’effondrent. La crise s’accompagne
en outre d’une
remise en cause du rôle des marchés secondaires (les
bourses) dans les
économies nationales elles-mêmes : ces
marchés, qui s’étaient bien portés
dans la deuxième moitié des années 1920
jusqu’à connaître parfois des bulles
spéculatives (à New-York principalement) sont
accusés d’avoir provoqué la crise
économique. Même si l’on considère souvent
aujourd’hui qu’ils ont
« seulement » contribué à celle-ci
via les crises bancaires et l’affaissement
des garanties du crédit, nombre d’Etats considèrent
à l’époque qu’une
réglementation plus étroite des marchés financiers
est nécessaire. Cette
réglementation renforce le rôle des banques et des
organismes publics dans les
décisions financières par opposition aux marchés,
tendance qui avait commencé
avec le développement des grandes banques au 19e
siècle. Ces
institutions allouent les capitaux selon
des procédures administratives qui diffèrent du
fonctionnement des marchés, et
réduisent sans doute l’intégration du marché
financier. L’accroissement de
l’intervention publique chez tous les belligérants pendant les
deux guerres
mondiales accentue cette tendance. Après 1945, les
marchés financiers sont
cantonnés à un rôle secondaire: les grandes
entreprises financent l’essentiel
de leurs investissements par rétention de
bénéfices, au moment où nombre
d’entre elles sont d’ailleurs nationalisées en Europe ou en
Amérique
latine ; les banques (souvent elles-mêmes sous influence
étatique) jouent
un rôle prépondérant dans le financement des
besoins restant. La demande de
titres de la part des épargnants privés est
également réduite avec la mise en
place des systèmes de sécurité sociale par
répartition. Au plan international
enfin, les flux financiers sont essentiellement contrôlés
par les Etats :
aide à la reconstruction puis au développement,
bientôt investissements directs
de firmes multinationales. Sous l’influence de Keynes, la
théorie économique
elle-même s’oppose à la libre circulation des capitaux qui
affaiblirait la
capacité des Etats à mener les politiques de leur choix.
Cette situation change
progressivement. A Londres en premier lieu, les autorités
gouvernementales
acceptent de séparer leur politique monétaire interne de
leur contrôle du
système monétaire et financier, et laissent se
développer le marché des
euro-dollars à partir de la fin des années 1950. Ce
marché, dérégulé, est
d’abord un marché du crédit bancaire en dollar, puis un
marché obligataire. Y
interviennent des banques de nombreuses nationalités qui y
trouvent la
possibilité de réaliser des opérations impossibles
nationalement (en
particulier les banques américaines contraintes par la
régulation Q (un élément
du Glass Steagall act de 1933 aboli en 1980). Dans les années
1960 et 1970, le
marché des euro-dollars devient un marché mondial
très concurrentiel et peu
contrôlé sur lequel les transactions deviennent massives,
déstabilisant le
système de change fixe de Bretton-Woods. La fin de celui-ci conduit à un changement global qui
s’étend
rapidement à l’échelle mondiale : d’un triptyque
alliant taux de change
fixes, politiques monétaires indépendantes et
restrictions aux flux
internationaux de capitaux, on passe à un nouvel ensemble
articulant changes
flexibles, politiques indépendantes et liberté de flux de
capitaux ;
l’exception est l’Union européenne où est fait le choix
d’une intégration
monétaire progressive qui impose, jusqu’à son
achèvement en 1999, des
restrictions soit (dans un premier temps) à la libre circulation
des capitaux,
soit (après 1985 surtout) à l’autonomie des politiques
monétaires.
Dans ce nouveau
régime, les marchés
financiers organisés reprennent le rôle
prépondérant qu’ils avaient joué au
XIXe siècle. D’une part, ils déterminent le prix des
actifs et des dettes,
imposant aux émetteurs une contrainte à l’échelle
mondiale : par leurs
choix d’allocation de portefeuille, les grands investisseurs
institutionnels
(fonds de pension gérant les régimes de retraite par
capitalisation, compagnies
d’assurance-vie, fonds privés actions plus récemment)
affectent tous les
emprunteurs actuels ou potentiels, et prennent le contrôle de
nombre
d’entreprises (en France, les investisseurs institutionnels
étrangers
détiendraient environ la moitié des actions des grandes
entreprises composant
l’indice CAC 40). Même les Etats ne peuvent plus guère
affecter ces contraintes
(hormis, sans doute, les Etats-Unis). D’autre part, ils permettent des
flux
financiers considérables : c’est le cas en premier lieu du
marché des bons
du Trésor américain, qui attire des capitaux du monde
entier (spécialement de
Chine et de l’Asie en forte croissance) grâce à sa
liquidité et à sa
profondeur ; bien au-delà, l’intégration
financière devient telle
qu’investissement et épargne d’un pays peuvent être
durablement dissociés, l’écart
étant emprunté ou prêté sur les
marchés internationaux.
Les marchés
organisés, lieux a
priori neutres sur lesquels sont réalisées ces
opérations, deviennent eux-mêmes
un enjeu : leurs formes d’organisation sont débattues dans
la mesure où
elles peuvent affecter le bon fonctionnement des opérations,
l’optimalité des
arbitrages, mais aussi la survenance de crises. Comme au XIXe
siècle, des
organisations initialement très différentes
(centralisées comme à Paris,
décentralisées comme le Nasdaq) tendent à
converger ; les innovations
techniques (systèmes de cotation, de livraison,
opérations complexes à terme ou
optionnelles) se diffusent rapidement, de même que les
règlementations
(spécialement en Europe sous la pression de
Ces transformations ont
lieu dans
une confiance généralisée envers les
marchés libres proche de celle qui
prévalait à
Pierre-Cyrille Hautcoeur
EHESS-PSE
Further reading :
Carnevali,
Francesca,
Youssef Cassis, Gerald D. Feldman &
Ulf Olsson
(eds), The evolution of financial
institutions and markets in 20th century Europe, Scolar Press,
1995Barry Eichengreen, Globalizing capital, a
history of the international monetary system, Princeton UP, 1996
Marc Flandreau et Frédéric Zumer, The Making of
Global Finance 1880-1913,
OECD, Centre de développement, 2004
Maurice Obstfeld
& Alan Taylor, Global Capital
Markets: Integration, Crisis and Growth,